mercredi 2 février 2011

Turkiye

FICHIER 110126_02.wav

A antakya la pronvinciale sans trop de charme mais pas sans douceur non plus (que je n'ai vu qu'un soir pluvieux de janvier,et encore le seul quartier central, ce qui fait un peu léger pour juger ) nous avons eu le droit à un orchestre qui jouait pour la salle du restaurant de l'hôtel où nous sommes venus en spectateurs. Les gens, tous très bourgeois, dansaient, tenaient le rythme avec leurs mains, visiblement émêchés, j'aurais pu les écouter deux heures. A minuit tout le monde était au lit.


Antakya -> Istanbul


La Syrie est le paradis de la Peugeot, 504 en tête. La Turquie est le Valhalla de la R12.
Adana vous saute à la gorge. Ses forêts de tours d'habitation à l'infini d'une plaine maraîchère et ses quartiers de maisons cubiques de béton nus sur les familières rues-terrains. Tout ce fonctionnalisme le plus cru, paysan peut-être. Partout des orangers et des vendeurs d'orange.


Je regarde les commerces de la gare routière bétonnée et industrieuse avec un certain émerveillement. Quelque chose que j'avais oublié depuis mon voyage à Istanbul : la profusion. Clinquant étalagesans autres codes que ceux des couleurs et des textures. L'étal du commerçant est son chez-lui, sa proposition, le rayonnage du supermarché est un chez tout le monde donc chez personne une optimisation de l'adaptation aux besoins du consommateur. Le faux réel du supermarché (où je parierai que toute la classe supérieure turque aime à se vautrer comme un cochon d'européen) son faux bois, son faux étal de fruit façon maraîchers d'antans et son rayon poissonerie décoré par des objets nautiques discrets sur une fresque marine à même le mur (bleu)... le centre Leclerc... une des plus grandes abjections de notre civilisation, et je prfère à tout prendre la frime façon klaxon cucaracha des étals éclatants de profusion des vendeurs de tout et de rien de la gare d'Adana.
Le commerce n'est pas le mal. L'organisation rationnelle assassine le réel.
Pardon. Reprenons.


Une vieille femme en fichu tout juste sortie d'un bus court pratiquement vers moi dès qu'elle m'aperçoit pour venir me réclamer de l'argent avec une telle grandiloquence pleureuse que j'ai failli pouffer de rire.


Depuis la gare routière nous prenons un taxi pour la gare ferroviaire. Tu accepte le prix forfaitaire à 5 fois la course, tu es baisé. Tu exige de faire brancher le compteur par monsieur Yussuf, tu es baisé (et sûr de faire 5 fois le tour de la ville pour 500 mètres à vols d'oiseau). Nous avons choisi la deuxième option qui s'avère finalement substanciellement plus un enculage de catégorie A que la première (26 lira contre 20 proposés pour une course que je parierai à 7 pour un local). Merci Yussuf.


A la gare d'Adana une famille de paysans pauvres pousse une brouette de produits utilitaires, de gros sacs d'engrais ou de semailles, je n'en sais rien, achetés à la ville. La femme a un de ces manteaux brillants et cheap qui la met "sur son 31"et de tristes chaussures de ville maculées de boue. Le mari a une énorme carrure qui déborde de son costume, une épaisse moustache et un air soucieux, blessé peut-être même.
Leur fille essaie de les aider à pousser la brouette. Elle porte un jean avec des fleurs fuschia et des chaussures rose. Elle a 9 ans au plus.


Le soleil me brûle le visage. je suis debout les yeux fermé à profiter de l'épaisseur jaunie de mes phosphènes, l'air peut-être un peu con. Un petit môme s'arrête devant moi interloqué. Je lui dit Hello, sa grande soeur vient le récupérer. Il me regarde étrangement, elle me regarde comme si j'allais l'emmener sur le champ au Taj Mahal. Elle a 11 ans.




Adana - Istanbul
Au moment de nous installer le contrôleur nous montre nos sièges et nous dit de pas trop nous y accrocher non plus, que chacun finira par trouver un endroit ou poser ses fesses. Et effectivement, sans que ça soit la guerre, les places ne sont pas vraiment respectées.


Le plus beau train de l'univers. Les deux premières heures ressemblent à un documentaire "les trains de montagne" pour le National Geographic. À-pics enneigés, traversés de villages solitaires, précipices à tribord, intermittence entre deux tunnels de gigantismes montagneux, vue à perte de vue.
Les 18 autres heures sont surtout nocturnes et malgré la qualité réelle des wagons flambant neufs, l'ennui nous assassine à coup de marteau dans l'air surchauffé. Avons passé pas mal de temps au wagon restaurant, si longtemps que tous les gens de l'équipe, qui a dîné ensemble à la table d'à côté de nous, sont devenus nos amis. Photos échangés, blagues sur Monica et Bill Clinton, conseils avisés quand nous jouons aux échecs, prêts de verres et même de glace pour NOTRE whisky dans leur wagon-bar sans que ça ne les dérange... Le simple fait de les voirs se faire la tambouille entre eux dans la cuisine du wagon restaurant et occuper deux tables pour manger ensemble me fait me rendre compte encore une fois d'un léger souci crispé de notre société à nous. Cette scène serait impensable dans un TGV. D'ailleurs l'idée de cuisiner un plat avec des vrais produits le serait aussi. C'est la stricte vérité et je la trouve gargouillante d'horreur.
L'amitié a son prix bien sûr et un jeune se raccroche et vient nous jouer ses dernières compositions à la guitare. il porte un bracelet de force hardrock et il joue mal. il mentionne le "turkish rock" en essayant de capter l'attention de nos yeux fuyants. Il s'abstient heureusement de vraiment chanter.


Istanbul
Rien que le café à emporter à la sortie de la gare Pasa, presque les pieds dans l'eau, les mouettes et les cormorans et le premier Simit (le rouleau de pain au sésame) en regardant la digue et ses milliards de volatiles, et la jungle urbaine sur la rive en face. Une telle beauté en hiver... je n'ose pas imaginer le mois de mai. Istanbul est la ville la plus photogénique du monde. Choc emotionnel prévisible du retour mais la nostalgie personnelle est avalée une fois arrivé à l'appartement par, une fois n'est pas coutume, les vagues du présent-temps-réel. Une légère incommodation gastrique du voyageur me cloue, fasciné, devant Al-Jazeera. Le peuple existe donc. Le grand soir aussi. Fierté, joie, angoisse. You know the picture. Je repense à l'Europe et je me dis que nous ne savons plus ce que c'est que la détermination. Moi qui n'ai plus la télé depuis 15 ans au moins je reconnais que pour ce genre de moment la vitesse du présent-raconté-au-présent est exactement la bonne, indispensable, aussi "spectaculaire" soit-elle. Al-jazeera est un média d'une rare fraîcheur. La demande de démocratie, et même de sociale-démocratie que nous über-progressiste finissons par honnir, me fait pas mal penser. Je maintiens malgré tout que le devoir de la société démocratique est de lutter contre la substanzlösigkeit. La perte de substance qu'elle produit elle-même. Lisez Siegfried Kracauer si vous ne me croyez pas. Les égyptiens ont en attendant d'autres chats à fouetter, quelle beauté.


Je pense à Fire in Cairo de The Cure (et me dis que j'aimerai en lire les paroles), et à la fin officielle de la décennie cryptofasciste post-11 septembre. Et je me dis qu'il existe peut-être deux trois raisons d'espérer.


Me suis baladé dans la ville en solitaire pendant que Toleen et Eric enchaînaient les rendez-vous comme des business men. Effet similaire à ma première visite, solitude dans le grand océan urbain. Effet qui cette fois m'afflige un peu plus. J'ai peut-être bien envie de rentrer à la maison. Mais de toute façon ma vie est maintenant dédiée au bombardement de Al-Jazeera.


Quelques notes quand même :
Ai toujours envie de chocolat à istanbul. De chocolat à la pistache. De chocolat à la pistache de la marque Ülker.
Les formes arrondies des dômes des mosquées, les mouettes, le bosphore,le soleil sur les collines lointaines de üsküdar, les pêcheurs sur le pont de Karakoy, les gens. Tout concours à une certaine beauté calme et invraisemblable au sein du chaos dialectique enfer du commerce et de l'expoitation / fortunes de la culture multimillénaire.
Dans le bateau un vieil édenté à l'air épuisé sert le thé.
Ce foutu nationalisme ridicule (mettre leur embarrassant amour du père dans le même sac, l'attatürkisme...), signe d'un évident manque de confiance en soi qui ne lasse pas de m'étonner. Dernier vestige peut être du coup de pied dans le derrière qu'a pris l'empire Ottoman au début du 20e siècle ?
Mais le 21e leur appartient. L'art turc a une mission qui me semble assez claire.






J'ai écrit une poésie d'ivrogne, alors que mon estomac ravagé aidant je n'ai rien bu depuis longtemps, je vais vous la réciter, les mains dans le dos :
le deuxième vers qui pourtant était le premier, n'a jamais réussi à fonctionner :




Eminonü* :


La mer-deniz** fait chanter ses vedettes
la tête de pont a la gueule de bois, et l'Europe les foies
et Galata porte le chapeau***


* Eminonü est le terminal de bateau en face de la colline de Galata*** avec sa belle tour génoise à l'énorme toit conique.
** Deniz veut (je crois, je l'ai déduit) dire mer en turc.




Vers l'aéroport
Avec le Bosphore et ses pétroliers et ses portes-containers qui paissent dans la baie et prennent le rare soleil de l'hiver dans une immobilité léthargique l'horizon est plus grand. Leurs silhouettes donnent des repères d'échelle, de taille, d'espace. Cette impression doit finir par avoir la peau du stambouliote, qui n'a plus besoin de rien d'autre que d'un coup d'oeil négligent à sa fenêtre pour se rassurer sur le génie des lieux, et considérer n'avoir plus rien à faire pour les habiter mieux.

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